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Première ES/L

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5 juin 2009

recap

Les réécritures du

« carpe diem »

Problématique : Comment le thème du « carpe diem » a été repris par des écrivains du même siècle et de siècles éloignés ?

Qu'est-ce qu'un topos littéraire ? Pourquoi réécrire ? Quel effet produit l'intertextualité ?

I) Groupement de textes :

→Ronsard, « Quand vous serez bien vieille... », Sonnets pour Hélène, II, 24, 1578

→ Queneau, « Si tu t'imagines », L'instant fatal, 1948         

→ Corneille, « Stances à Marquise »,                      

Ronsard, « Mignonne allons voir si la rose... », Odes, 1550


II) Textes complémentaires :

Apollinaire, Alcools, 1913, « Le pont Mirabeau »

Jacottet, L'effraie, 1953, « Sois tranquille, cela viendra... »

III) Activités complémentaires :

→ Notions d'histoire littéraire sur la Renaissance

→ L'intertextualité    

→ Écoute de poèmes lus ou chantés : « Le pont Mirabeau » par Apollinaire, par un comédien, chanson des « Stances à Marquise »

IV) Lecture de l'image

Comparaison Picasso/ Ingres

Recherche personnelle des élèves sur un phénomène d'interimages.




Texte 1


Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. »


Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.






Texte 4

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vêprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.

Las ! Voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ! Ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.



Texte 2 : Si tu t'imagines

Si tu t'imagines
si tu t'imagines
fillette fillette
si tu t'imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

Si tu crois petite
si tu crois ah ah
que ton teint de rose
ta taille de guêpe
tes mignons biceps
tes ongles d'émail
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger
si tu crois petite
xa va xa va xa va
va durer toujours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures

les beaux jours s'en vont
les beaux jours de fête
soleils et planètes
tournent tous en rond
mais toi ma petite
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas
très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi
allons cueille cueille
les roses les roses
roses de la vie
et que leurs pétales
soient la mer étale
de tous les bonheurs
allons cueille cueille
si tu le fais pas
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures.

Raymond Queneau (1903-1976) , L'instant fatal (1948)

Texte 3

Pierre Corneille (1606-1684)

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes

Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise,
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.

Stances à Marquise (1658)


Textes complémentaires

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
           Et nos amours
       Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
           Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

    Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
           L'amour s'en va
       Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

    Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
           Ni temps passé
       Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

    Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

Guillaume Apollinaire (1880-1918)


Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,

tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin

du poème, plus que le premier sera proche

de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin.

 

Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches

ou reprendre souffle pendant que tu écris.

Même quand tu bois à la bouche qui étanche

la pire soif, la douce bouche avec ses cris

 

doux, même quand tu serres avec force le nœud

de vos quatre bras pour être bien immobiles

dans la brûlante obscurité de vos cheveux,

 

elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux,

de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille,

elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.

Philippe Jaccottet  L'Effraie, éditions Gallimard

Lecture de l'image : Ingres, La grande odalisque et Picasso, L'odalisque d'après Ingres
















L'autobiographie

Les mots de J.P. Sartre

Problématique : Comment se manifeste le regard du narrateur adulte sur son enfance ?

Quelle distance prend-t-il ? Quels choix opère-t-il ? Dans quels buts ?

I) Lecture d'une œuvre intégrale :

Les mots, Lire, de « Restait le patriarche. » à « il adorait en moi sa générosité. », p.21 à 22

Les mots, Lire, de « J'ai commencé ma vie... » à « sentaient le champignon », p. 35 à 36      

Les mots, Lire, de « Il y avait une autre vérité. » à « ne tournait pas rond. », p. 111 à 112                  

→  Les mots, Écrire, de « Nulla dies sine linea.. » à la fin, p. 205 à 206


II) Textes complémentaires :

Rousseau, Confessions, Préambule, 1665

Dominique Viart, L'autobiographie, un genre impossible, 2005

III) Activités complémentaires :

→ L'existentialisme

→ Le pacte autobiographique 

→ Les différentes formes de l'autobiographie

IV) Lecture de l'image

Étude d'autoportraits de Basquiat et de De Chirico








Texte 1 : Les mots, Lire, p. 21 à 22

Restait le patriarche: il ressemblait tant à Dieu le Père qu'on le prenait souvent pour lui. Un jour, il entra dans une église par la sacristie; le curé menaçait les tièdes des foudres célestes: « Dieu est là! Il vous voit! » Tout à coup les fidèles découvrirent, sous la chaire, un grand vieillard barbu qui les regardait: ils s'enfuirent. D'autres fois, mon grand-père disait qu'ils s'étaient jetés à ses genoux. Il prit goût aux apparitions. Au mois de septembre 1914, il se manifesta dans un cinéma d'Arcachon: nous étions au balcon, ma mère et moi, quand il réclama la lumière; d'autres messieurs faisaient autour de lui les anges et criaient: « Victoire! Victoire! » Dieu monta sur la scène et lut le communiqué de la Marne. Du temps que sa barbe était noire, il avait été Jéhovah et je soupçonne qu'Émile est mort de lui, indirectement. Ce Dieu de colère se gorgeait du sang de ses fils. Mais j'apparaissais au terme de sa longue vie, sa barbe avait blanchi, le tabac l'avait jaunie et la paternité ne l'amusait plus. M'eût-il engendré, cependant, je crois bien qu'il n'eût pu s'empêcher de m'asservir: par habitude. Ma chance fut d'appartenir à un mort: un mort avait versé les quelques gouttes de sperme qui font le prix ordinaire d'un enfant; j'étais un fief du soleil, mon grand-père pouvait jouir de moi sans me posséder: je fus sa « merveille » parce qu'il souhaitait finir ses jours en vieillard émerveillé; il prit le parti de me considérer comme une faveur singulière du destin, comme un don gratuit et toujours révocable; qu'eût-il exigé de moi? Je le comblais par ma seule présence. Il fut le Dieu d'Amour avec la barbe du Père et le Sacré-Cœur du Fils; il me faisait l'imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume, il m'appelait son tout-petit d'une voix qui chevrotait de tendresse, les larmes embuaient ses yeux froids. Tout le monde se récriait: « Ce garnement l'a rendu fou! » Il m'adorait, c'était manifeste. M'aimait-il? Dans une passion si publique, j'ai peine à distinguer la sincérité de l'artifice: je ne crois pas qu'il ait témoigné beaucoup d'affection à ses autres

petits-fils; il est vrai qu'il ne les voyait guère et qu'ils n'avaient aucun besoin de lui. Moi, je dépendais de lui pour tout: il adorait en moi sa générosité.


Texte 2 : Les mots, Lire, p. 35 à 36

J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute: au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout; défense était faite de les épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées; droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait. Elles se ressemblaient toutes, je m'ébattais dans un minuscule sanctuaire, entouré de monuments trapus, antiques qui m'avaient vu naître, qui me verraient mourir et dont la permanence me garantissait un avenir aussi calme que le passé. Je les touchais en cachette pour honorer mes mains de leur poussière mais je ne savais trop qu'en faire et j'assistais chaque jour à des cérémonies dont le sens m'échappait: mon grand-père — si maladroit, d'habitude, que ma mère lui boutonnait ses gants — maniait ces objets culturels avec une dextérité d'officiant. Je l'ai vu mille fois se lever d'un air absent, faire le tour de sa table, traverser la pièce en deux enjambées, prendre un volume sans hésiter, sans se donner le temps de choisir, le feuilleter en regagnant son fauteuil, par un mouvement combiné du pouce et de l'index puis, à peine assis, l'ouvrir d'un coup sec « à la bonne page » en le

faisant craquer comme un soulier. Quelquefois je m'approchais pour observer ces boîtes qui se fendaient comme des huîtres et je découvrais la nudité de leurs organes intérieurs, des feuilles blêmes et moisies, légèrement boursouflées, couvertes de veinules noires, qui buvaient l'encre et sentaient le champignon.

Texte 3 : Les mots, Lire, p. 111 à 112

Il y avait une autre vérité. Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre: comme ils étaient forts et rapides! comme ils étaient beaux! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine; je m'accotais à un arbre, j'attendais. Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté: « Avance, Pardaillan, c'est toi qui feras le prisonnier », j'aurais abandonné mes privilèges. Même un rôle muet

m'eût comblé; j'aurais accepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort. L'occasion ne m'en fut pas donnée: j'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. Je n'en revenais pas de me découvrir par eux: ni merveille ni méduse, un gringalet qui n'intéressait personne. Ma mère cachait mal son indignation: cette grande et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle n'y voyait rien que de naturel: les Schweitzer sont grands et les Sartre petits, je tenais de mon père, voilà tout. Elle aimait que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un maniement aisé: mon format réduit passait à ses yeux pour un premier âge prolongé. Mais, voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle poussait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre pour un nain — ce que je ne suis pas tout à fait — et d'en souffrir. Pour me sauver du désespoir elle feignait l'impatience: « Qu'est-ce que tu attends, gros benêt? Demande-leur s'ils veulent jouer avec toi. » Je secouais la tête: j'aurais accepté les besognes les plus basses» je mettais mon orgueil à ne pas les solliciter. Elle désignait des dames qui tricotaient sur des fauteuils de fer: « Veux-tu que je parle à leurs mamans? » Je la suppliais de n'en rien faire; elle prenait ma main, nous repartions, nous allions d'arbre en arbre et de groupe en groupe, toujours implorants, toujours exclus. Au crépuscule, je retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où soufflait l'esprit, mes songes: je me vengeais de mes déconvenues par six mots d'enfant et le massacre de cent reîtres. N'importe: ça ne tournait pas rond.

Texte 4 : Les mots, Écrire, p. 205 à 206

Nulla dies sine linea.

C'est mon habitude et puis c'est mon métier. Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais notre impuissance. N'importe: je fais, je ferai des livres; il en faut; cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme: il s'y projette, s'y reconnaît; seul, ce miroir critique lui offre son image. Du reste, ce vieux bâtiment ruineux, mon imposture, c'est aussi mon caractère: on se défait d'une névrose, on ne se guérit pas de soi. Usés, effacés, humiliés, rencognés, passés sous silence, tous les traits de l'enfant sont restés chez le quinquagénaire. La plupart du temps ils s'aplatissent dans l'ombre, ils guettent: au premier instant d'inattention, ils relèvent la tête et pénètrent dans le plein jour sous un déguisement: je prétends sincèrement n'écrire que pour mon temps mais je m'agace de ma notoriété présente; ce n'est pas la gloire puisque je vis et cela suffit pourtant à démentir mes vieux rêves, serait-ce que je les nourris encore secrètement? Pas tout à fait: je les ai, je crois, adaptés: puisque j'ai perdu mes chances de mourir inconnu, je me flatte quelquefois de vivre méconnu. Grisélidis pas morte. Pardaillan m'habite encore. Et Strogoff. Je ne relève que d'eux qui ne relèvent que de Dieu et je ne crois pas en Dieu. Allez vous y reconnaître. Pour ma part, je ne m'y reconnais pas et je me demande parfois si je ne joue pas à qui perd gagne et ne m'applique à piétiner mes espoirs d'autrefois pour que tout me soit rendu au centuple. En ce cas je serais Philoctète: magnifique et puant, cet infirme a donné jusqu'à son arc sans condition; mais, souterrainement, on peut être sûr qu'il attend sa récompense.

Laissons cela. Mamie dirait:

« Glissez, mortels, n'appuyez pas. »

Ce que j'aime en ma folie, c'est qu'elle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de « l'élite »: jamais je ne me suis cru l'heureux propriétaire d'un « talent »: ma seule affaire était de me sauver — rien dans les mains, rien dans les poches — par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m'élevait au-dessus de personne: sans équipement, sans outillage je me suis mis tout entier à l'œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui.

Textes complémentaires

Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu. Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge . Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, je n'ai rien ajouté de bon ; et même s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même,être éternel. Rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables ; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité ; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose : Je fus meilleur que cet homme-là.  

Rousseau, Confessions, 1665

Il faut dire que les choses avaient mal commencé. La tradition occidentale, celle du monde chrétien, exige mais prohibe le récit de soi. Elle l’exige dans la confession que l’on ne saurait restreindre au seul aveu ritualisé des fautes dans la pratique catholique, puisqu’elle intitule ainsi des œuvres aussi décisives pour le genre que les Confessions de saint Augustin avant celles de Rousseau. Elle le prohibe en condamnant le narcissisme, le culte de soi, l’impudeur et toutes les formes de complaisance subjective : le « moi est haïssable » proclame Pascal, bientôt rejoint par Valéry, qui y voit « déboutonnage » et « prostitution » et ajoute qu’« en littérature, le vrai n’est pas concevable », et par Sartre qui en condamne « l’insincérité » (L’Idiot de la famille) avant d’y sombrer à son tour (Les Mots). Placée sous de tels auspices, l’écriture de soi ne pouvait qu’être complexe et contradictoire ! D’autant qu’à cela viennent s’ajouter nombre de difficultés concrètes : comment dans l’espace d’un livre, aussi long soit-il, réunir tous les événements d’une vie ? Sterne en montre l’impossibilité dans Tristram Shandy. Faute d’être exhaustive, l’écriture de soi est fautive par défaut. Elle l’est aussi lorsqu’on s’avise, comme le fait Marguerite Yourcenar dans Archives du Nord, que l’on ne saurait se souvenir de sa prime enfance, encore moins de sa naissance, bien que notamment Rousseau et Chateaubriand nous les racontent avec de nombreux détails. Jacques Roubaud s’insurge dans La Boucle contre l’idée qu’un narrateur de cinquante ans puisse s’installer rétrospectivement dans le corps d’un enfant de cinq ans.

Donc l’autobiographe trie, élimine, imagine, réinvente, spécule sur son propre passé. Il introduit de la logique là où règne le hasard ; il enjolive – esthétise son propos –, dramatise, force le trait. Son texte est troublé d’autres enjeux (un plaidoyer pro domo comme chez Rousseau) ; il ne cesse d’être contaminé par la fiction : si les exigences propres à l’écriture ne l’y contraignaient pas, ce seraient les vicissitudes de la mémoire auxquelles il faut suppléer. Ou les réserves morales, les troubles de l’inconscient, enfin l’incapacité même dans laquelle se trouve tout un chacun de se connaître vraiment. L’autobiographie ne présente jamais un homme dans sa vérité objective, mais simplement tel qu’il s’imagine. Nathalie Sarraute, qui se méfie du genre, explique : « Ce qui m’intéresse quand je lis les vraies autobiographies, c’est de me dire “ah bon, c’est comme ça qu’il voulait qu’on le voie”. »

Dominique Viart, L'autobiographie, un genre impossible, 2005

Lecture de l'image : Basquiat, Autoportrait, 1982 et De Chirico, Autoportrait en costume du XVIIème siècle », 1947


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